Interview [Cover]
Elle s’appelle Teresa Iturrioz. Lui se nomme Ibon Errazkin. Depuis plus de deux décennies traversées à la tête de leurs groupes Las Aventuras De Kirlian et Le Mans –, ils ne forment un couple qu’à la scène.
Uncouple inséparable, dont la connivence et l’habileté ont de quoi rendre jaloux nombre de leurs contemporains. À Madrid, leur ville d’accueil, ils jonglent aujourd’hui avec un panache étourdissant entre culture encyclopédique et goûts éclectiques pour imaginer une musique décomplexée et fantasmée, télescopage d’influences plurielles qui a donné naissance à un disque singulier. Un disque inclassable et culotté, interprété dans la langue de Cervantes, réinventant un idiome pop, où l’audace retrouve enfin sa juste place. À l’aune de la sortie française inespérée de Pío Pío, premier album sous couvert de l’identité Single, voici venu, en vingt-six lettres, le temps des présentations. Histoire de mieux comprendre comment ces drôles d’oiseaux ont réussi à faire leur nid.
INTERVIEW : CHRISTOPHE BASTERRA
PHOTOGRAPHIES : XABI ZIRIKIAIN, LEILA MENDEZ, JAVIER ARAMBURU ETDR
ARAMBURO, JAVIER:
Teresa Iturrioz : Un artiste et un ami, deux mots qui commencent aussi par la lettre A... La toute première pochette de disque qu’il a conçue fut celle de notre premier groupe, Las Aventuras De Kirlian, en 1989. Et il semblerait qu’il ait décidé de boucler la boucle avec Pío Píopuisqu’il a déclaré il y a un an vouloir prendre sa retraite, en quelque sorte... Alors, on peut se vanter d’avoir eu la chance qu’il réalise le graphisme d’à peu près tous nos disques, ceux de Le Mans, bien sûr, mais aussi ceux d’Ibon en solo ou de son autre projet durant les années 90, Daily Planet. Javier a toujours travaillé dans son coin, il voulait juste écouter les chansons avant de se mettre au boulot. Jamais nous ne lui avons donné d’instructions particulières. Pour l’album de Single, il m’a seulement demandé si je l’autorisais à poser un oiseau sur mon nez... (Rires.)
BERLANGA, CARLOS:
Ibon Errazkin :J’ai produit son quatrième album solo, Impermeable(Elefant Records, 2004). Il est décédé une année après, alors que personne ne s’y attendait... Carlos Berlanga avait une identité propre, un talent incroyable. C’était un personnage un peu excentrique, qui vivait dans son monde. Les différents groupes dont il a fait partie, comme Alaska Y Los Pegamoides ou Alaska Y Dinarama, ont eu, en Espagne, une influence certaine sur la plupart des gens de notre génération. En général, il m’arrive d’endosser le costume de producteur pour d’autres artistes une fois tous les deux ans. Et ça demande un sacré boulot... Car il ne s’agit pas que d’apporter ses idées, il faut mettre tout le monde à l’aise, être à l’écoute des uns et des autres. Il y a une approche psychologique que je trouve épuisante. (Sourire.) En tout cas, cet exercice-là n’a rien à voir avec ce que je fais dans le cadre de Single. L’aventure, je la vis d’un bout à l’autre. Nous avons écrit tous les morceaux à deux, avec Teresa, et ce que l’on entend est le fruit de nos idées communes.
TI : Pourtant, à l’origine, on souhaitait faire appel à un producteur extérieur.
IE :Et à une chanteuse...
TI :En fait, on voulait composer les chansons puis trouver quelqu’un pour les mener à bon port. Mais sans succès... Alors, on a dû se dévouer. On rêvait de trouver une jeune et jolie fille comme inter- prète et un type possédant un grand studio.
IE : Sincèrement, j’adorerais qu’on nous produise. Ce n’est pas par manque d’inspiration, car nous avons toujours des tonnes d’idées. Mais le problème est de pouvoir les matérialiser au niveau technique. Parfois, on se heurte à nos limites, et les chansons ne sonnent pas exactement comme on les imaginait. C’est forcément frustrant. Depuis des années, je traîne cette idée dans un coin de ma tête : travailler avec Denis Bovell (ndlr. figure légendaire du reggae et du dub). Si jamais il acceptait, je peux te dire qu’on lui enverrait fissa toutes les pistes et que l’on resterait tranquille à la maison en attendant le résultat.
CARTOGRAPHI
TI :Mon travail ! (Rires.) Je donne des cours à l’Univer- sité Polytechnique de Madrid, je dessine aussi des cartes. Et ça me plaît. Enfin... Pour tout te dire, ce boulot commence a m’enquiquiner. J’aimerais bien changer d’existence ! (Rires.) Mais de là à vivre de la musique, c’est une autre histoire. Parce que, dans ce cas, je serais forcée de faire des compromis. Je ne crois pas qu’on me passerait toutes mes lubies, du style : “Tiens, cette fois, je préfèrerais faire du cabaret plutôt que de la pop”ou “J’ai décidé de ne sortir que des singles au lieu d’un album”! (Rires.) Il te faut “obéir” et respecter également ce que les gens attendent de toi. Finalement, la situation idéale serait d’être rentière et pouvoir faire ce que je veux de mon temps !
DONOSTI
TI : La ville où Ibon et moi sommes nés, où nous avons vécu et où nous passons des étés merveilleux.
IE : Dans les années 90, en Espagne, on a beaucoup parlé du Donosti sound. Avec Las Aventuras De Kirlian, puis Le Mans, nous y étions toujours rattachés. À l’époque, je détestais cette idée, mais avec le temps, je dois reconnaître que le fait d’être de Donosti nous a certainement marqués. Pourtant, Teresa et moi n’habitons plus là-bas depuis des années.
TI :Mais on y retourne tout le temps...
IE :C’est vrai, j’y étais encore il y a une dizaine de jours. Et ça m’a paru être la ville la plus morose du monde. (Rires.) D’un côté, Donosti nous manque souvent, et de l’autre...
TI :Quand nous y retournons, les premiers jours sont synonymes de joie de vivre, et puis, nous sombrons dans une indicible tristesse ! On appelle ça le Donosti blues. (Rires.)
ELEFANT
IE :Je me souviens que la première fois que nous avons joué à Madrid avec Aventuras De Kirlian, Luis Calvo et Montse Santalla (ndlr. le couple dirigeant du label madrilène) étaient dans la salle. Nous nous sommes rencontrés à cette occasion. Ensuite, Luis n’a cessé de nous proposer de bosser ensemble. Mais à la fin des années 80, il ne sortait que des cassettes, et nous n’étions pas vraiment intéressés. Ensuite, il est passé aux flexis, ce qui ne nous séduisait pas davantage... (Sourire.) Mais quand il a décidé de produire des Cd’s, nous n’avons pas hésité un seul instant, et c’est ainsi que nous avons sorti chez Elefant le premier album de Le Mans, en 1994.
TI : Avec eux, tout est simple. Ils ne nous demandent même pas de maquettes... On leur dit juste : “On ferait bien un disque”. Et ils nous répondent : “Génial ! Quand commencez-vous à l’enregistrer !?”
IE :Ils m’ont laissé enregistrer en solo deux albums instrumentaux, très éloignés de ce que peut sortir le label et qui ne leur plaisent certainement pas autant que ce qu’on a pu faire avec Le Mans ou Single. Mais il existe une telle confiance entre nous qu’ils nous laissent une entière liberté. En fait, nous sommes complètement déconnectés de la réalité du monde des maisons de disques et de ce que ces dernières peuvent t’imposer. Travailler avec Elefant est un luxe. On fait ce qu’on veut depuis tant d’années que je ne m’imagine plus devoir me battre pour imposer des idées qui me semblent élémentaires.
FIB
TI : Nous y avons joué avec Le Mans lors de la toute première édition, en 1995. Et j’en garde un merveilleux souvenir !
IE : Depuis, nous n’y sommes jamais retournés, ni comme artistes, ni comme spectateurs. Et c’est même la seule fois que nous nous sommes produits dans le cadre d’un festival. Ce genre d’événement ne m’attire pas particulièrement. Oui, c’est vrai, de façon plus générale, la scène ne m’attire pas vraiment. (Sourire.)
TI : N’empêche qu’on y pense avec Single. Enfin, moi, j’y pense. Et j’en ai envie. Mais je ne veux pas partir seule sur la route, jouer avec des bandes. Non, il me faut un groupe, des musiciens, doués et sympas de préférence. (Rires.)
IE : C’est vrai qu’entre penser à réinventer pour la scène les chansons de Pío Pío, qui est un vrai disque de studio, et écrire de nouveaux morceaux, je préfère mille fois privilégier la seconde solution. Cela dit, je suis aussi conscient, aujourd’hui encore plus qu’hier, que les concerts sont essentiels pour faire vivre un album.
TI : Et comme nous avons travaillé comme des dingues dessus, ça me ferait de la peine qu’il tombe dans l’oubli... Je sais que pour Ibon, l’idée de jouer live constitue une véritable souffrance. Alors, s’il le faut, je le ferai sans lui. (Sourire.)
IE : Attends, si tu le prends sur ce ton, je veux bien être ton guitariste, à condition que je me contente de recevoir des ordres. J’ai composé ces chansons, alors, autant que ce soit moi qui les joue, après tout...
GUÈBROU
IE : Pour Pío Pío, la chanson, nous voulions des sons qui suggè- rent le chant des oiseaux, sans pour autant en sampler, ce qui
aurait été trop évident. Et Teresa avait ce disque d’Emahoy Tse-gué-Maryam Guèbrou, une pianiste éthiopienne, dont le jeu sug-
gère justement des pépiements. Elle a un style incroyable, entre le blues et un jazz primitif. Son album fait partie de la collection Éthiopiques(ndlr. une collection qui comprend également Mulatu Astatke, rendu célèbre par la bande originale du film Broken Flowers), dont nous sommes très fans. Alors, nous avons essayé de nous en inspirer... Comme à notre habitude, nous sommes
allés piocher nos idées chez les uns et les autres. (Sourire.)
TI : Pour schématiser, l’album de Single est l’addition de tout ce qu’on adore ! (Rires.) De toute façon, nous avons toujours piqué à droite à gauche. Lepremier album de Le Mans contenait déjà pas mal de clins d’œil à Sly Stone, Felt ou Edwyn Collins, entre autres.
IE : Cette fois, nous avons pioché partout. On a samplé Young Marble Giants sur deux ou trois morceaux...
TI : Sur la chanson Pío Pío, on a même trouvé le moyen d’associer Merle Haggard et les Skatalites.
IE : On ne s’en est jamais caché, on n’est pas de ceux qui taisent leurs sources d’inspiration, bien au contraire. Par exemple, Algo Rarodoit beaucoup à Brigitte Fontaine. Et nous pourrions continuer pendant des heures à te citer des noms. (Sourire.) De Bobbie Gentry à Timbaland, d’Elvis à Tweet... Bien sûr, on se réapproprie toutes ces choses. Elles passent par notre prisme. Tant et si bien que je ne suis pas sûr que ces influences soient perceptibles. Nous sommes sans doute les seuls
à pouvoir les identifier. (Sourire.)
HERRIBATASUNA
TI : Nous ne sommes pas des nationalistes basques, et pourtant, je me sens très basque.
IE : Ce qui nous dégoûte le plus dans ce nationalisme, c’est qu’il exclut tous les Basques qui ne sont pas nationalistes.
TI :Ça tient du fascisme, ni plus ni moins.
IE : Herri Batasuna et ETA sont évidemment un problème dans la
société basque, mais ils ne sont en réalité que la partie immergée d’un immense iceberg.
IKASTOLA
IE : Nous sommes allés tous les deux dans les Ikastola (ndlr. écoles de langue basque, réinstituées en Espagne après la mort de Franco et le retour à la démocratie).
TI :Mais peut-être faisais-tu référence au morceau réalisé par Ibon en solo ?
IE : Sans trop savoir pourquoi, cet instrumental me rappelait mon
enfance, d’où ce titre. Sur la pochette du single, Teresa posait avec moi, d’ailleurs. Aujourd’hui, j’ai pas mal de compositions destinées à mon projet solo, mais je suis tellement content des chansons de Single, que je préfère les laisser de côté. Après une période plus expérimentale, j’avais envie de revenir à un format pop. Et de travailler à nouveau avec Teresa... Si l’on s’était lancé dans cette aventure juste après la séparation de Le Mans, en 1998, on n’aurait jamais pu enregistrer un tel disque. Les années écoulées ont permis de gommer nos préjugés... (Sourire.) Dans Pío Pío, on trouve des choses que l’on n’aurait jamais osé réaliser il y a six ou sept ans. Et puis, la genèse de cet album est aussi liée à la découverte de tous ces disques de R&B parus au début des années 2000 : Aaliyah, Tweet, Brandi, So Addictivede Missy Elliot...
JONE GABARAIN
TI :Elle était la chanteuse de Las Aventuras De Kirlian et de Le Mans. Et elle aurait dû être celle de ce nouveau projet. Enfin, certaines chansons, comme Honey, l’une des premières que nous ayons composées pour Single, lui étaient destinées. Mais aujourd’hui, comme elle vit à Hendaye et qu’elle est la maman de deux enfants, elle ne se voyait pas s’impliquer dans le projet, même si elle fait une apparition sur Señor Invierno... D’un côté, je trouve ça triste parce que j’adore sa façon de chanter. Mais de l’autre, je suis heureuse car son refus m’a permis de me jeter à l’eau. Et je peux t’assurer que désormais, personne ne pourra m’enlever le micro des mains ! Jone avait un style très marqué, celui de ne pas en avoir, car elle n’avait aucun modèle, tandis que moi, je suis une imitatrice !
KIRLIAN
IE :Le nom de notre premier groupe vient d’un titre d’une chanson de l’album inaugural de Cabaret Vol- taire, Kirlian Photography. Nous ne savions pas au départ qu’il s’agissait d’un procédé photographique découvert accidentellement, qui révèle des auras autour des objets et des personnes... Et ce nom a souvent été synonyme de calvaire pour nous. Personne ne le comprenait, et en général, tout le monde l’écrivait mal. (Rires.) On avait fini par en avoir honte, on était terrorisé dès que l’on nous demandait comment le groupe s’appelait... Mais on garde d’excellents souvenirs de cette période.
TI :Lorsqu’on a commencé, on devait avoir dix-sept ans. Nous étions jeunes et insouciants. (Rires.)
IE :Au tout début, c’est peut-être la seule fois que nous avons eu une vie de groupe “normale”, où l’on répétait régulièrement, où l’on composait tout le temps. Et puis, très vite, on s’est retrouvé dispersés.
TI :Ibon est parti vivre à Londres, moi, à Madrid, les autres sont restés à Donosti. Tous les disques de Le Mans ont été composés ainsi.
IE :En tout cas, avec Las Aventuras, je me rappelle bien du jour où nous avions rendez-vous avec notre label d’alors, DRO. Nous voulions leur faire accepter de prendre Stuart Moxham comme producteur de notre deuxième disque, persuadés qu’ils allaient accepter sans problème. Alors qu’on n’avait même pas vendu mille exemplaires du mini-Lp que nous avions enregistré ! (Rires.) Et en fait, ils nous avaient convoqués pour nous rendre notre liberté. Mais à l’époque, on faisait figure d’OVNI en Espagne. Nous étions très influencés par la scène britannique, les groupes C86, les premiers singles de Primal Scream ou les Shop Assistants.
TI :Par les Marine Girls, aussi.
LOREAK MENDIAN
IE : Une marque de vêtements créée par un ami à nous, Xabi, qui est de Donosti également. On a toujours été proches, soit parce que nous avons fait des photos de Le Mans dans sa boutique, soit parce que Teresa et moi nous sommes occupés au départ du pre-
mier magasin qu’il a ouvert à Madrid. Pour les gens extérieurs, Loreak Mendian est une pièce du puzzle de notre univers, dans les 90’s : nos disques, les pochettes signées Javier Aramburu, les vêtements de Loreak Mendian, le club Etxekalte où mixait Javi Pez.
MADRID
TI :De Madrid jusqu’au ciel...
IE :Ou Madrid me tue. (Rires.) J’aime vivre dans des grandes agglomérations, mais par rapport à Londres, Madrid est une ville très pratique, où tout te semble proche. Tu n’as pas ce sentiment d’isolement... Même s’il s’agit de la capitale espagnole, il y règne une ambiance très provinciale. Mais cette sensation est aussi peut-être due au fait que nous ne sortons que rarement de notrequartier, situé dans le centre.
NOVOPHONIC
IE : Là, on revient à la bande de Donosti des années 90. Lorsque ce label est apparu, vers 1995, il incarnait quelque chose de novateur en Espagne, un peu à la Mo’Wax. Il y avait une dimension soul, hip hop, électronique. Et l’approche graphique était très importante également. En fait, Novophonic, c’était essentiellement un artiste, Javi Pez, qui évoluait sous plein de noms différents et avec divers collaborateurs. Avec lui, j’ai enregistré les disques de Camping Gaz ou d’Instrümental, dont le maxi inau- gural fut la première référence du label. Mais nous nous connaissons depuis très longtemps. Nous avons souvent eu des projets ensemble, qu’ils débouchent ou non sur quelque chose de concret.
OLVIDADOS, LOS
IE :De Buñuel ? C’était l’un de mes films favoris à une époque. Oui, le cinéma est aussi une source d’inspiration. C’est en voyant L’Amour En Fuitede Truffaut qu’on a eu envie d’adapter la chanson du générique, sur notre deuxième single de... Single, Su Recuerdo.
TI :Ces derniers temps, Ibon est obsédé par Fassbinder, dont l’actrice fétiche, Ingrid Caven, est aussi chanteuse.
IE :Dans ses films, la musique est toujours en filigrane : un personnage rentre dans un club où se produit Caven, un autre est fan de Leonard Cohen, etc. Un label allemand a sorti un double Cd compilation de chansons live interprétées lors de représentations du collectif fondé par Fassbinder, l’Antithéâtre. Ce sont souvent des morceaux pop, qui donnent l’impression d’avoir été imaginés par Kurt Weil. Les arrangements sont très libres, la musique est assez baroque. Ces chansons se fichent des conventions, et on est assez attiré par cet état d’esprit.
PINTATO, TITO
TI :Il chante avec moi sur deux titres de l’album, Mira, Bastaet Tu Perrito Librepensador. On se connaît depuis longtemps. À l’éépoque de Le Mans, on avait joué avec son premier groupe, Penelope Trip. Ensuite, il a pris le nom de Telefilme et aujourd’hui, il évolue sous l’identité Anti.
IE :On adore inviter nos amis sur nos disques. On préfère faire appel à eux plutôt qu’à des musiciens qu’on ne connaît pas, aussi doués soient-ils. On a multiplié les collaborations sur Pío Píocar l’idée était d’enregistrer un disque aussi varié que possible, qui tienne plus d’une compilation de singles que d’un album traditionnel. Et chaque invité apporte une touche personnelle, permet d’élargir la palette sonore.
TI :De plus, nous sommes incapables de réaliser certaines choses : il nous est impossible de jouer aussi bien du piano qu’Antonio Galvañ ou Rafael Guillermo. Et puis, j’adore chanter en duo : je peux me pren- dre pour Barbra Streisand.
Q-BASE
IE :Mais ça s’écrit Cubase plutôt ! Mais je tolère ton rac- courci, tant je craignais que tu choisisses Queen à cette lettre. (Rires.) Sincèrement, nous sommes nuls en matière de technologie ! Quand je lis les interviews de certains artistes qui détaillent leur matériel avec passion, ça me donne des sueurs froides... En fait, je me suis lancé dans la programmation pour les besoins de ce disque. Comme Teresa avec le chant : qui allait s’y coller, sinon?
(Sourire.) Mais après avoir passé deux années derrière un ordinateur à déplacer des fichiers son, je crois que l’on va revenir à quelque chose de plus acoustique pour le prochain disque.
ROCKDELUX
TI :Le Magicespagnol, peut-être ?
IE :Ce magazine a élu Pío Píochanson espagnole de l’année 2006 ! Bien sûr, on lit tout ce qu’on peut écrire sur nous, même si nous ne sommes pas souvent d’accord. (Sourire.) Quoi qu’il en soit, les chroniques sont généralement très bonnes. Ce qui nous a un peu surpris car chez nous, la presse musicale semble actuellement obnubilée par les auteurs-compositeurs tourmentés. Et notre album se voulait aussi une sorte de réaction à ce courant...
TI :Le titre du disque tient un peu de la provocation (ndlr. la traduction en serait Cui Cui)... On avait envie de se poser à contre-courant du sérieux qui habite la scène indépendante espagnole.
IE : Aujourd’hui, il règne cette volonté de vouloir enregistrer des œuvres qui sont tout de go considérées comme des classiques, qui passent à la postérité. Mais les albums des années 60 et 70 que l’on considère aujourd’hui comme des classiques étaient à leur époque des disques expérimentaux.
SIC TRANSIT GLORIA MUNDI
TI : La dernière chanson du dernier album de Le Mans. Une chanson d’adieu... Mais prémonitoire. Car sans que nous le sachions, elle annonçait déjà l’explosion de joie de Single. (Rires.) Pour le besoin des rééditions, j’ai réécouté tous nos disques, et j’avoue qu’ils m’ont bien plu dans l’en- semble. En particulier Saudade.
IE :Moi, il m’arrive de vouloir écouter une chanson, comme ça, mais en général, je ne la laisse jamais jusqu’à la fin. Je garde un bon souvenir d’Entresemana. Aquí Vivía Yo, le dernier Lp, est sans doute trop long, je n’ai pas dû l’écouter en entier depuis sa sortie.
TROJAN
IE : Un label que l’on aime beaucoup, Teresa et moi. J’ai découvert le reggae au début des années 90, en m’installant à Londres. Et à mon arrivée à Madrid, j’ai eu une période où
je n’écoutais plus que ça. Entre 2002 et 2005, chaque jeudi, nous allions à la soirée Bus Stop, au club Babylon, où le Dj, un Japonais complètement dingue, passait du roots, du dancehall, du ragga. Il chantait sur les morceaux, les coupait, balançait une sirène : il recréait un soundsystem. C’est lui, Roots Seeker, qui intervient sur Honey. Enfin, je crois qu’aujourd’hui, Teresa écoute bien plus de reggae que moi.
TI :Il existe tant de styles différents que tu en trouves toujours un qui corresponde à ton état d’esprit du moment. J’adorerais enregistrer un album entier de lover’s rock ! Mais il faut rester réalistes : nous sommes de Donosti, et nous sommes de petits blancs...
USER T38
IE : Ces dernières années, cette compagnie me permet de gagner ma vie. J’écris en fait des musiques pour des publicités. C’est grâce à Gabe Ibañez, qui avait réalisé une vidéo de Le Mans et a également signé celle de Su Recuerdode Single, que je suis entré dans ce monde. Mais artistiquement, ça n’a aucun intérêt. On me demande juste de plagier tel ou tel style. Alors, je fais du Beastie Boys, puis du Yann Tiersen... (Sourire.) Ce travail ne me passionne guère, mais il me laisse du temps pour composer.
VOULZY, LAURENT
IE : En fait, à part notre reprise de L’Amour En Fuite, on ne connaît rien de lui. Enfin, à chaque fois qu’on rentre dans un disquaire d’occasions, on tombe sur un nombre incalculable de ce 45 tours, là, Rockcollection... Mais je n’ai aucune idée de ce que ça donne.
TI :Disons que la pochette n’est pas très engageante.
WU-TANG CLAN
IE :Bizarrement, la suite logique à la lettre précédente puisque pour notre version de L’Amour En Fuite, on a utilisé une rythmique du Wu-Tang Clan ! Mais je ne suis pas un grand fan du groupe.
TI : Peut-être, mais tu es un fan de hip hop. En fait, il n’a pas l’air comme ça, mais Ibon est un vrai B-Boy !
IE :J’en étais plus friand il y a quelque temps, quand même... Mais, il faut reconnaître que, chaque année, tu peux tomber sur des disques capables de te surprendre. Ce qui n’est pas le cas dans le rock.
XAVIER ALARCON
IE :Il aurait pu être le technicien idéal dont nous parlions tout à l’heure, mais il vit à Barcelone. Et l’éloignement géographique ralentit le processus de création. C’est d’autant plus dommage que nous partageons de nombreux goûts en commun... On lui a confié le mixage de plusieurs chansons et il a réalisé un véritable travail d’orfèvre.
TI :Certains de ses mixes sont des œuvres d’art. Ce garçon est si méticuleux... Il ne laisse rien au hasard. Et certaines chansons lui doivent beaucoup.
YUSEE LATEEF
IE :On l’a vu sur scène à l’été 2005, il était d’ailleurs accom-pagné par des musiciens français. Il doit bien avoir quatrevingt ans aujourd’hui. Le concert était excellent. On adore ses disques des années 60. En particulier Eastern Sounds, qui fut un véritable choc quand on l’a découvert.
TI :Ce disque, je le recommande à tout le monde.
ZAPATERO, JOSE LUIS
IE : Plus que Zapatero lui-même, le retour au pouvoir du Parti Socialiste n’a pas été pour nous déplaire.
TI :Il essaye de faire bouger les choses en Espagne. Bien sûr,
il lui arrive de se tromper, mais au moins, il prend des initiatives.
IE :Surtout au niveau social et culturel.
TI :S’il décide de se présenter à nouveau, je voterai pour lui. Même s’il n’incarne pas tous mes espoirs.
IE :Bah, de toute façon, l’homme politique idéal n’existe pas.
LE MANS
Avant Single, était Le Mans, quintette géographiquement éclaté, mené à la baguette par Ibon Errazkin et Teresa
Iturrioz et complété par Jone Gabarain, Peru Izeta et Gorka Ochoa. En moins d’une décennie, ce groupe aux idées larges a laissé quatre albums impériaux, une poignée de singles – compilés depuis sur l’indicible Catástrofe N°17– et une collection de chansons à l’élégance éblouissante, hésitant, selon le bon plaisir de ses auteurs, entre séduction dénudée et enchantement voluptueux. Alors que ces disques sont aujourd’hui réédités en France, visite guidée d’un univers fascinant.
ARTICLE: CHRISTOPHE BASTERRA
PHOTOGRAPHI: ELEILA MÉNDEZ
IL ÉTAIT UNE FOIS à San Sebastian. Dans les années 80. Sans trop que l’on sache pourquoi, cette ville bourgeoise nichée entre les montagnes et l’océan, célèbre pour sa plage magnifique, ses cuisiniers orfèvres et sa dou- ceur de vivre, a vu éclore un nombre incalculable de talents. Des garçons et des filles férus de musique, avides de découvertes et bien décidés à franchir la frontière qui sépare le mélomane du musicien. Tous fréquentent les mêmes lieux, se retrouvent dans les mêmes concerts, échangent disques et opinions. C’est à cette époque qu’Ibon Errazkin et Teresa Iturrioz forment leur premier groupe, Las Aventuras De Kirlian. Le premier en est le guitariste et compositeur en chef. La seconde a choisi la basse et écrit les paroles. Ils trouvent en Jone Gabarain une chanteuse à la voix d’une merveilleuse sensualité. Quant à Peru Izeta, il se charge de la batterie. Minimale, la batterie. Leurs regards sont alors tournés vers les côtes britanniques. Ils avouent un faible prononcé pour Young Marble Giants et Marine Girls, Felt et d’Orange Juice. Ils composent des chansons courtes aux contours ingénus, toujours interprétées dans leur langue natale. Ils trouvent refuge sur une imposante structure indépendante madrilène, ancienne figure de proue de la movida, DRO. Ils enregistrent un mini-Lp, dont ils confient la pochette à un ami cher, Javier Aramburu, lui-même chanteur de El Joven Lagarto. Qui se rebaptisera bientôt Family. D’autres formations éclosent.
Comme 23 Ojos De Pez, dirigé par le dénommé Javi Pez et à laquelle parti- cipent Peru et Ibon. Ou La Buena Vida. Pour Las Aventuras De Kirlian, les choses ne tournent pas très bien. Le quatuor donne quelques concerts, fait des apparitions à la télé. Mais ne déclenche pas d’hystérie collective. DRO les remercie poliment. Mais ces jeunes gens n’en ont cure. Ils continuent
de composer. Ils étoffent leur son, aussi. Ils s’entichent des musiques noires. Découvrent les classiques des années 60. The Byrds, Love, Lee Hazlewood s’inscrivent en lettres d’or à leur Panthéon. Bientôt, ils invitent un vrai batteur à rejoindre leur giron. Il s’appelle Gorka Ochoa. Quant à Peru, il devient le second guitariste d’un groupe qui profite du passage à la nouvelle décennie pour changer de nom. Le Mans sera désormais leur identité. En hommage à la course automobile.
DRYMARTINI
La chance sourit aux audacieux, dit-on. Et de l’audace, le quintette n’en manque pas. Certes, il n’a plus de label, mais son enthousiasme n’en est pas écorné pour autant. Un ami lui ouvre même grand les portes de son studio, dont le groupe peut disposer quand bon lui semble. Ibon est parti à Londres. Teresa, à Madrid. Qu’importe. Le garçon façonne dans son coin de nouveaux morceaux. Lorsqu’il revient passer quelques jours au pays, en enfant prodig(u)e, il montre à ses compagnons ses nouvelles compositions. La demoiselle imagine les textes, chroniques miniatures de la vie quotidienne. Ensemble, ils échafaudent des plans, musicaux et autres.
Entre 1991 et 1992, Le Mans enregistre ses chansons, sans savoir ce qu’elles deviendront. Jusqu’au jour où un fan de la première heure, Luis Calvo, qui a décidé de donner de l’envergure à la micro structure qu’il a lancée à la fin des 80’s, Elefant Records, les appelle pour proposer aux cinq amis de sortir un disque. Le premier album de Le Mans voit le jour en janvier 1994. Par la force des choses, il s’en dégage une légère sensation de mosaï que. N’empêche... Entre arrangements insidieux et mélodies charmeuses, le groupe rend ouvertement hommage à ses influences premières (le solo de guitare de Jersey Inglés piqué chez Felt, le clavier de l’entraînant Un Rayo De Solplagié sur celui du Runnin’ Awayde Sly Stone, entre autres), dévoile les atours d’une pop élégante au charme suranné, un peu à l’image de la ville qui les a vus naître. D’ailleurs, la presse spécialisée ibérique va bientôt fantasmer sur une scène qu’elle baptise tout simplement le Donosti Sound (ndlr. Donosti est le nom basque de San Sebastian), dont Le Mans, malgré ses dénégations, devient vite le fer de lance, entraînant dans son sillage les merveilleux Family (un seul album, indispensable), La Buena Vida,El Joven Bryan Superstar ou le projet parallèle d’Ibon, exclusivement instrumental, Daily Planet.
De l’autre côté des Pyrénées, le quintette devient vite une référence: goûts sûrs et idées claires, songwriting soigné qui donne naissance à des chansons dont la futilité apparente dissimule en fait son atemporalité.
Alors que l’année 1994 touche à sa fin, ce club des cinq d’un autre genre, décidé à rattraper le temps perdu, publie son deuxième Lp. L’impétuosité originelle laisse place à une délicieuse sérénité. Des cordes habillent des compositions baignées d’un doux halo lumineux, figurant l’aube d’un été indien bercé par les accents doo wop de A La Hora Del Café, les inflexions jazz du morceau-titre Entresemanaou les arpèges de la langoureuse Mejor Dormir. Cette fois, Ibon, Teresa et les autres affinent leur identité. Ils font naître nombre de vocations. Concerts sporadiques, interviews distillées au compte-goutte ajoutent à leur aura magnétique. Et Le Mans de matérialiser désormais toutes ses appétences. Il habille de discrètes touches électroniques le chaloupé Zerbina, publié en single, tout comme Jonathan Jeremiah, où il fricote avec un hip hop abstrait déformé par un prisme folk. Il s’attèle aussi à son troisième album. Après l’insouciance d’Entresemana, voici venu le temps de l’amertume. À écouter blotti chez soi en dégustant un Dry Martini, le bien nommé Saudadefait la part belle aux guitares acoustiques et aux ambiances feutrées, empreintes d’une nostalgie contagieuse. Histoires d’amour déchu (le faussement enjoué ¡ Oh Romeo, Romeo !), averses automnales, souvenirs douloureux traversent un disque à peine plus long que ses prédécesseurs (trente-cinq minutes chrono), réalisé dans les frimas du mois de janvier 1996.
Mais toutes les bonnes choses – surtout les meilleures – ont une fin. “J’aime quand les groupes ne s’inscrivent pas dans la durée”, déclarait Ibon au siècle dernier. “Je ne supporterai pas que Le Mans devienne une habitude pour les gens”. Les deux leaders ont pris leur décision et ont tout planifié. Les pochettes des deux singles précédant Así Vivía Yoaffichent une grande lettre : un F pour le premier, un I pour le second.
Quant au graphisme du recto de l’album, il se résume à N. FIN, donc. L’histoire va ainsi s’arrêter en avril 1998, avec la sortie d’un disque en forme de résumé de ce parcours impeccable. Excursions bossa, rythmiques délicieusement funky, touches expérimentales et pointes folk se télescopent dans ce qui reste l’œuvre la plus ambitieuse du quintette. Les fans n’ont plus que leurs yeux pour pleurer. Gorka Ochoa, lui, va se consacrer à son autre projet, El Joven Bryan. Peru se dédie au graphisme et à la photographie. Jone Gabarain met ses talents de coiffeuse et maquilleuse au profit du septième art. Quant à l’inséparable tandem, il nourrit déjà d’autres projets. “Je ne pense pas arrêter un jour d’écrire avec Teresa...”, explique Ibon au moment de la séparation. Et cette dernière de conclure alors : “Si nous revenons, ce sera sous un autre nom, avec de nouvelles idées et une musique différente”. Ces gens-là tien- nent toujours leurs promesses.
SINGLE: travels to Paris [May 18th]
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21/04/2008
Single [Magic]
picture: Archivo Elefant
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