Dix sept heures, sur les rives bohèmes du canal St Martin. C’est une journée au temps radieux, l’après-midi tarde à se retirer, il se propage dans l’air la sensation agréable d’avoir sauté une saison. Comme d’habitude, on joue sereinement des coudes entre amis sur les rives pour trouver une place sur le quai. A quelques mètres, cette plaisante scène est perturbée par la balance dans la salle du Point Ephémere.
Lee Thomson, le batteur timide, revient de la salle et me prévient que Tracyanne Campbell aura un peu de retard. Finalement elle nous rejoindra très vite. La jeune femme n’est pas très expressive et feint l’ennui entre chaque question, mais derrière cette attitude évasive se cache une timidité rude... dès qu’elle vous sourit, à la fin de chacune de ses réponses, le contraste est saisissant. Désarçonnant, avouons-le. Pinkushion : C’est la première fois que vous venez jouer à Paris, et même en France si je ne m’abuse.
Lee Thomson : Oui, c’est très excitant pour nous. Il y a six ou sept ans en arrière, nous étions supposés venir jouer ici pour notre premier album. Mais ce n’est finalement jamais arrivé...
C’est plutôt étrange que vous n’ayez jamais joué ici. Vous cultivez beaucoup de points communs avec la France, sur le plan esthétique.
Lee Thomson : Tu trouves cela étrange ? Oui, c’est vrai. Paris me semble être une ville où c’est plutôt compliqué, pour un groupe étranger, de venir jouer. Programmer une date ou distribuer notre album n’a pas été facile jusqu’ici. Je ne sais pas vraiment pourquoi.
(ndlr : Tracyanne nous rejoint, s’excusant d’avoir été retenue par la balance)
J’évoquais le lien esthétique que vous semblez entretenir avec la France... d’où provient-il ?
Tracyanne : Je suppose que cela vient de mon obsession maladive pour Cafrine Deheu depuis l’adolescence.
Pardon ?
Tracyanne : Cathrin Deheuve, tu ne connais pas ? (elle jette un regard atterré à son acolyte)
Ha, Catherine Deneuve, bien sûr ! Excuse-moi, mais j’ai un peu de mal avec votre accent écossais. (gêné)
Tracyanne : (Sourire) Ce n’est pas grave. Beaucoup de choses proviennent de la fascination portée aux acteurs d’une certain période, beaucoup de films français, une certaine attitude qui s’en dégageait. La culture française des années 60 en général. Nous n’avons pas encore fait un tour sur le canal St Martin, mais nous adorerions.
As-tu déjà visité la France ?
Tracyanne : Oui, je suis déjà venue une fois à Paris, et puis j’ai visité le sud de la France avec des amis, Marseille, Montpellier. Juste pour le tourisme, c’est un très beau pays.
Votre dernier album Let’s Get Out Of The Country a reçu d’excellentes critiques et a ouvert le groupe a une audience plus large. Etes-vous satisfait de votre parcours jusqu’ici ?
Lee : Absolument. Nous avons vu les choses évoluer petit à petit avec le temps. Nous jouons devant de plus en plus de gens et sommes sollicités pour jouer dans différents endroits à travers le monde : Mexico, l’Australie et maintenant la France. C’est une grande satisfaction pour nous, je pense que nous avons de la chance.
Vous tournez aussi aux Etats-Unis également où vous bénéficiez d’un deal chez Merge Records, le label d’Arcade Fire.
Lee : Tout à fait, ça se passe très bien aussi là-bas.
Tracyanne : Oui, il y a beaucoup de bons groupes chez Merge Records que nous apprécions, des gens comme M. Ward., Lambchop... Nous avons fait l’ouverture pour Lambchop en Angleterre dans le passé. Nous avons donné quelques concerts aux Etats-Unis, mais nous ne faisons pas fréquemment de première partie pour d’autres groupes. On préfère tourner par nous-même et nous ne sommes pas vraiment en contact avec nos collègues.
Vous êtes six dans le groupe, est-ce que la cohabitation est difficile en tournée ?
Tracyanne : Pas tant que ça. Nous nous entendons bien, et nous nous connaissons depuis si longtemps, presque dix ans. Bien sûr, les tournées sont difficiles, parfois on s’ennuie, c’est dur de rester ensemble tout le temps. Mais dans l’ensemble, ça va.
Pourquoi John Hendersen a quitté le groupe à l’issue du second album Underachievers Please Try Harder ?
Tracyanne : Son enthousiasme ? (rire complice des deux).
Lee : John n’avait tout simplement plus envie de jouer avec nous. Il n’était plus enthousiaste.
C’est son côté Leonard Cohen qui rebutait le groupe ?
Tracyanne : Pardon ? (rires)
Oui, le morceau folk sur lequel il chante, “Your Picture”, est troublant de mimétisme avec la voix de Leonard Cohen...
Tracyanne : C’est Kenny (guitare) en fait qui chante cette chanson (rires). Désolé, tout le monde pense que c’était John, mais ce n’est pas le cas. John voulait quitter le groupe, et ce n’était pas notre cas.
Le titre de l’album évoque l’exil. Je me demandais si aux Etats-Unis, ce titre interpellait certains de vos fans à cause de Bush...
Tracyanne : Eh bien, nous ne vivons pas aux Etats-Unis, donc nous ne prétendons pas diffuser de messages politiques à leur égard à travers nos paroles. Je suppose que beaucoup d’américains actuellement n’aiment pas vivre aux Etats-Unis à cause de cette situation. Mais de notre côté, nous vivons en Angleterre. En fait, nous aimons beaucoup l’Amérique.
Lee : Personne encore n’avait fait cette connexion auparavant. C’est trop grand comme pays, c’est comme plusieurs pays réunis. Il faudrait faire une cinquantaine de voyages à travers les états pour faire le tour du pays... C’est assez dur de juger un pays si immense, trop d’opinions se confrontent.
Tracyanne, tes paroles semblent refléter un état d’esprit personnel à un moment donné.
Tracyanne : Absolument. En vérité, je ne réfléchis pas trop au sens des mots. Je ne veux pas être trop consciente du message, j’écris vite. La démarche est plutôt spontanée, je ne cherche pas à analyser ni vraiment à me dire ce qu’en penseront les gens. C’est comme un journal intime. Parfois, tu as besoin d’exprimer tes sentiments sur papier, parfois tu écris des petites histoires et puis le lendemain tu passes à autre chose.
Est-ce que tu penses que le statut de musicien te donne plus de liberté ?
Tracyanne : Je le pense, oui. Être musicien aide à exprimer des sentiments personnels, retirer quelque chose de notre âme et le donner aux gens. Mais beaucoup de gens sont libres d’exprimer leur sentiment de la manière qu’ils souhaitent, et pas nécessairement par la musique. Je pense que tous les musiciens ont choisi de s’exprimer par eux-mêmes.
Des chansons comme “Lloyd...” , “Come Back Margaret” et “Let’s get Out of This Country”, sont de pures pop songs, très évidentes. Est-ce que c’est facile de composer ce genre de morceau ?
Lee : Certaines chansons se sont imposées plus facilement que d’autres. D’autres ont demandé davantage de travail, nous avons alors demandé l’aide précieuse de notre producteur pour construire le morceau ensemble, afin d’obtenir ce résultat, assez direct.
Tracyanne : Ce n’est pas aussi facile que ça en a l’air. Parfois, un travail acharné aboutit à un résultat moyen. Un autre jour, certaines transformations peuvent chambouler la conception d’un morceau avec l’aide d’arrangements de cordes ou d’un chorus. Ça a l’air simple, mais c’est un travail de longue haleine en studio avec notre producteur.
Lee : Toutes nos chansons sont le fruit d’un dur travail.
Ces trois chansons se démarquent particulièrement du reste de l’album
Tracyanne : Oui, car elles ont un refrain, ce sont d’ailleurs nos trois singles. Ce sont des singles évidents, ils se sont imposés d’eux-mêmes.
L’album est sorti voilà un an. Vous sentez-vous toujours impliqués après tout ce temps passé à tourner ?
Lee : Toujours. En ce moment, nous sommes heureux de jouer ces morceaux sur scène. Nous sommes définitivement à l’aise avec les morceaux, c’est une sensation agréable. Nous allons encore tourner jusqu’en juin, puis nous allons certainement probablement commencer à travailler de nouveaux morceaux dès le mois d’octobre prochain. Comme cela, à l’automne nous pourrons continuer notre chemin tous ensemble et enregistrer un nouvel album pour l’année prochaine.
Lee : Cette tournée va continuer jusqu’à cet été, où nous ferons encore quelques festivals. On va ensuite prendre quelques vacances afin de commencer à composer de nouvelles chansons.
Tracyanne, as-tu déjà commencé à écrire des morceaux ?
Tracyanne : Oui. Mais c’est toujours pareil, je pense que ce n’est pas le genre de processus où tu arrêtes simplement d’écrire. Ton instinct créatif est constamment en éveil, tu transcris des sentiments qui peuvent se manifester à tout moment.
Pouvez-vous me donner vos cinq albums favoris ?
Tracyanne : Je suis incapable de donner cinq albums. Faisons-le ensemble Lee, veux-tu ? Alors voilà nos coups de cœur du moment...
Sleepy Jackson, Personnality One Was a Spider, One Was a Bird
Midlake, The Trials Of Van Occupanther
M . Ward, Post War
Fleetwood Mac, Rumours (nous l’écoutons constamment dans le bus)
Amy Winehouse, Back to Black
Photos de Pascal Amoyel
Remerciements à Cédric sans qui cette rencontre n’aurait pas eu lieu
Lire la chronique de Camera Obscura - Let’s Get Out Of This Country
Compte-rendu Camera Obscura au Point Ephemere, Paris 6 avril 2007